Détour(s) d'Australie

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Stuart Highway, partie 1 — De Marla à Henbury Meteorite Crater

Parcourir un pays à vélo est une expérience réellement singulière, et nous constatons que cela nous permet de prendre beaucoup plus de temps à apprécier les paysages et leurs changements. Moi j’étais déjà conquis, j’ai traversé d’Adelaide à Alice Springs déjà trois fois, deux fois en train et une fois en voiture, et à chaque fois le paysage est simplement à couper le souffle, varié, divers et fascinant. Et chaque saison le rend réellement différent. Et contre toute attente il change régulièrement, même d’un kilomètre à l’autre.

Anne, elle, avait trouvé la traversée en voiture plutôt sans intérêt il y a deux ans, ayant l’impression de voir se dérouler sur des centaines de kilomètres toujours la même chose. Mais il faut savoir y regarder et admirer les variations parfois subtiles de végétation, les plaines, les collines, les lits de rivières, toujours à sec sauf lors des crues décennales. Alors c’est d’autant plus une surprise pour elle de voir qu’effectivement le décor n’est pas lassant et ennuyant mais fascinant.

Et le soir quand le soleil disparaît derrière l’horizon les plaines immenses s’enflamment d’orange, de rouge, de rose et pourpre. Et la nuit la pleine lune illumine de bleu le dédale d’arbustes et d’herbes qui survivent sur le sable rouge. On se réveille parfois en pleine nuit en se demandant quel est le crétin qui a foutu un réverbère au milieu du bush, mais non c’est la lune qui nous éclaire comme en plein jour.

Alors que nous partons de Marla la chaleur de l’Australie centrale nous rattrape : 35, 37, puis jusqu’à 42°C, alors que nous sommes encore en hiver. Je vous laisse imaginer comment c’est en été. Et avec la chaleur le vent dominant a changé de direction et nous fait face. Ainsi nous ne parcourons que 44 kilomètres en deux jours sous un soleil de plomb. Mais le troisième jour la chaleur retombe et le vent se met à nous pousser dans le dos. Et nous faisons alors 184 kilomètres en deux jours. Autant dire que ce sont des journées plutôt agréables.

Nous sommes dépassés par Dan, un Melbournien qui nous suit depuis quelques semaines, il était sur l’Oodnadatta Track et a entendu parler de nous. Mais il a trouvé l’Oodnadatta trop difficile et après une casse de dérailleur il a gagné Coober Pedy en stop puis a suivi la Stuart Highway, goudronnée et plus facile. Son vélo est surchargé, bien plus que les nôtres, car en plus de quatre sacoches il traîne une remorque mono-roue. Et il trimballe du matériel vidéo et photo (plusieurs caisses) pour documenter son voyage, ainsi qu’une guitare et même un vrai marteau (bien lourd) pour planter les sardines de la tente dans le sol souvent très dur de l’outback. Et encore, il a laissé sa planche de surf à Adelaide !

Du coup on se dit que si lui, qui a l’air ultra-sportif, musclé et entraîné, a trouvé l’Oodnadatta Track trop difficile, c’est que nous ne sommes pas seuls à en avoir chié. Mais on est contents car nous on l’a fait en entier, sans entraînement et sans muscles !

Le jour suivant je me bloque le dos en faisant un faux mouvement au moment de partir, mais malgré cela on reprend la route, car la douleur est encore pire quand je suis debout ou couché que quand je suis assis sur le vélo. C’était une bonne idée car nous ferons 98 kilomètres dans la journée, notre record jusque là. Nous traversons la frontière entre South Australia et Northern Territory, après quasiment 2.500 kilomètres pédalés dans le South Australia quand même ! C’est un tournant pour nous : après deux mois nous changeons enfin d’État.

Nous faisons une pause burger (petit et cher) à la station service de Kulgera, où nous faisons la rencontre de Philip et sa famille aborigène venant de Finke. Ils montent à Alice Springs voir de la famille. Ils sont je ne sais pas combien entassés les uns sur les autres dans leur voiture, peut-être huit ou neuf. On passe un petit moment à discuter avec eux de comment cuisiner le kangourou et l’émeu, il nous raconte les périodes de crue à Finke où le poisson est abondant et la pêche facile.

Encore une fois malgré tous les avertissements et commentaires racistes qu’on a pu avoir de la part des australiens (blancs) sur les aborigènes, on ne peut que constater qu’ils sont comme tout le monde, en général sympas et accueillants, parfois non. Comme la plupart des australiens donc. Alors pourquoi tant de haine ? Encore une fois la faute à l’ignorance, la peur de l’inconnu. Comme en France où tout le monde aime bien stigmatiser les personnes originaires d’Afrique du nord comme de dangereux éléments qui vivent au crochet de la société… C’est de la bêtise pure et méchante.

Et la gentillesse des gens on peut dire qu’on en bénéficie pas mal. Alors qu’on discutait avec Dan un conducteur de 4x4 est venu nous offrir des boîtes de conserve de maïs à la crème, puis deux jours plus tard un petit camping-car de location s’arrête devant nous : un néerlandais et sa fille, qui traversent l’Australie pour leurs vacances, nous proposent un verre de jus de fruit, ce qu’on accepte avec plaisir.

Un peu après on passe l’intersection avec la Lasseter Highway qui va à Uluru et Kings Canyon, et on voit un truc se profiler à l’horizon sur la voie opposée, qui vient vers nous, on dirait… une remorque de vélo ? Mais où est le vélo ? Ah en fait il n’y en a pas ! C’est Roger, un anglais, la cinquantaine, qui traverse l’Australie de Darwin à Hobart, à pied, en poussant son chariot sur presque 50 kilomètres par jour, plus rapide que nous en vélo ! Il semble avoir une discipline de fer et un agenda à la minute, se lève dès les premières lueurs du jour jusqu’à ce qu’il fasse nuit. Alors on ne discute pas longtemps car il ne veut pas trop se retarder. Il profite quand même de l’occasion pour se rouler une cigarette et la fumer rapidement avant de repartir. On se demande quand même l’intérêt de marcher sur l’autoroute, ça doit être un peu chiant avec le temps je pense.

Le lendemain matin ça caille : 5°C au thermomètre alors qu’il fait déjà bien soleil. On prend notre temps pour émerger de la tente. On se caille en petit-déjeunant sur une table de picnic à l’ombre parce qu’un mec en 4x4 et immense caravane s’est installé devant la seule table au soleil pour… ne pas l’utiliser. Pour couronner le tout le réchaud ne veut pas fonctionner correctement à cause de grains de sable coincés dans le brûleur, on met un temps fou à faire chauffer notre eau avec le vent. Et le temps de manger quelques gâteaux notre tasse de thé est déjà froide.

Deux heures de pédalage plus tard nous nous arrêtons au bord de la route et malgré les grognements d’Anne nous escaladons une colline pour prendre un peu de hauteur sur le coin qui s’est soudainement mis à se vallonner. Et la vue est simplement magnifique, avec les chaînes de montagne de Seymour Range et Mt Breaden qui découpent l’horizon rectiligne en douces courbes.

Nous décidons de quitter un peu l’autoroute et de faire un détour par Henbury Meteorite Craters, exigeant un détour de 15 kilomètres sur une piste pourrie car très empruntée par les touristes, la route, dénommée Giles Rd, continuant ainsi jusqu’à Kings Canyon et permettant un bon raccourci à ceux qui sont en 4x4 (ou ceux qui n’ont pas peur de pourrir leur bagnole ou de rester coincé dans le sable).

La promenade autour des restes des cratères créés par une météorite de plusieurs tonnes tombée il y a 4.700 ans est plutôt intéressante, mais aussi relativement courte, seulement 15 minutes. Vu le temps qu’on a mis à pédaler sur la piste pourrie pour venir ici c’est un peu court quand même.

On commence à avoir notre petit rituel du soir à faire un feu dans le sable pour faire cuire notre pain pour le lendemain, ce qui permet également d’économiser un peu de gaz pour le réchaud et surtout de se réchauffer un peu avant d’aller se coucher.

Nous discutons avec Donna et Lawrence, un couple de tasmaniens à la retraite qui ont décidé de prendre un an pour faire un tour d’Australie. Comme nous ils adorent la randonnée et ne loupent pas une occasion de marcher. Ils nous recommandent d’ailleurs d’escalader la crête qui surplombe les cratères pour avoir une meilleure vue. Ça tombe bien c’est exactement ce qu’on avait prévu !

Et c’est ce que nous ferons, mais demain, après une bonne nuit de repos sous un magnifique ciel étoilé, comme toutes les nuits quasiment. En France il serait impossible de voir un ciel aussi beau, aussi clair, aussi détaillé, même au plus profond de la campagne. Ici nous sommes à des centaines de kilomètres du moindre hameau, aucun réverbère ou même aucune prise électrique à des lieues à la ronde. Et ce n’est pas une mauvaise chose…