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Oodnadatta Track, partie 4 - Coward Springs à William Creek

Après une nouvelle nuit d’insomnie à me retourner sur mon matelas gonflable je suis impatient de voir le jour se lever. Pour une feignasse comme moi ce genre de pensée est plutôt irréaliste, difficile de se dire qu’on sera soulagé de se lever tôt, alors que la plupart du temps je passe mon temps au lit, à dormir dix à douze heures par nuit. Ces jours-ci si j’arrivais à dormir plus d’une heure ou deux on pourrait appeler ça une bonne nuit. Mais ça n’arrive même pas.

J’observe donc le soleil se lever par la porte du cottage abandonné. Et, bonne surprise, le vent est enfin tombé. Nous pédalons une quinzaine de kilomètres pour atteindre le village abandonné de Strangway Springs. Après deux kilomètres de piste 4x4 terriblement sableuse et cabossée qui aura pour résultat de créer de multiples trous dans notre poche d’eau de 10 litres nous laissons les vélos pour faire une courte balade. Le chemin traverse les ruines de cet ancien hameau où l’activité principale était le relai télégraphique de la ligne Londres-Sydney installée en 1872, à l’époque vue comme la plus grande réussite de l’ingénierie britannique. Les poteaux eux-même ont été transportés à dos de chameaux, car il n’y aucun arbre à des centaines de kilomètres à la ronde. Et il y avait donc des relais espacés régulièrements. Et à chaque relais une maison avec l’opérateur et sa famille, en général entouré d’assistants et d’aborigènes. L’opérateur devait faire exactement ce que le nom de relais indique : noter chaque message reçu, puis le transmettre (en morse, toujours) jusqu’au relais suivant. Inutile de dire que quand on habitait à Sydney, ça mettait un peu de temps pour télécharger un morceau de Lady Gaga.

De nos jours il ne reste de la ligne télégraphique que les ruines des maisons-relais et quelques poteaux préservés pour les touristes. Plus grand chose donc. Et ici il reste quelque chose de plus intéressant que des vieilles pierres : et oui, encore des « mound springs », et un sacré paquet. Hélas la plupart sont asséchées depuis le siècle dernier, mais certaines continuent à couler. Mais même sans la (relative) profusion d’eau d’une époque passée, le paysage reste surprenant. Ces dizaines de monticules étranges, certains surmontés d’arbustes ou d’herbes issues de marécages perturbent les habitudes. En effet on ne s’attend pas à voir de l’eau au sommet d’une colline, et encore moins de la végétation qui se retrouve en général dans les vallées. Et pourtant chaque monticule, créé au fil des milliers d’années par les sédiments apportés par l’eau poussée depuis le bassin aquifère souterrain, crée une végétation inattendue et superbe. Et de l’eau, ici, c’est toujours aussi surprenant.

Si les journées sont plutôt agréables, sous le soleil et le ciel bleu, les nuits sont plutôt fraîches. Dès que le soleil se couche on enfile polaire et doudoune. Cette nuit nous aurons encore 4 degrés. Nous nous installons au sommet d’une superbe dune de sable rouge à côté des ruines d’Irrapatana Siding. Et encore une fois après avoir installé la tente nous passerons un certain temps à sonder le tapsis de sol de la tente à la recherche de ce que nous appelons « bord** de sal**erie de put*** de picots ». Ces régions désertiques que nous traversons depuis plusieurs semaines sont en effet victimes de la prolifération des fruits des plantes du coin, qui ont développé un mécanisme de défense singulier contre les herbivores : des pointes acérées comme des couteaux, solides comme du titane. Et comme il y a des épines de tous les côtés, vous pouvez être sûr de vous le prendre dans le pied. Ainsi je n’ai pas longtemps gambadé pieds nus sur la dune, content de pouvoir mettre mes pieds sur le sable. Jusqu’au premier picot. Aïe.

Heureusement nous n’avons pas eu de problème de crevaison à cause de ça, nos pneus sont à toute épreuve il semblerait, merci monsieur Schwalbe. Mais je n’ai pas la même confiance pour nos matelas. Alors tous les soirs on vérifie, et on passe un bon bout de temps à ramper sous le tapis de sol pour enlever les picots qui restent coincés sous la tente… Pas vraiment ce qu’on a envie de faire après une journée de pédalage épuisante.

Au réveil le thermomètre indique 0°C et le givre sur la tente et les vélos confirme le fait. Mais dès que le soleil se lève il fait bon. Et très peu de mouches jusque là, ce qui est appréciable. Ce matin nous sommes motivés par la perspective de manger au pub de William Creek à midi. Ça fait déjà quelques jours qu’on pense à un bon gros burger bien goûtu. Non pas que manger des pâtes et de la semoule tous les jour nous dérange, mais bon quand on sait qu’on va pouvoir s’offrir un peu de luxe, on en bave d’avance. Malgré tout, notre motivation est rapidement mise à mal par la route particulièrement cabossée qui nous ralentit.

À William Creek, micro-patelin qui n’offre aucun autre service qu’un pub, un camping et un avion de tourisme pour survoler Lake Eyre, on profite enfin d’un méga-burger bien gras, excellent. On casse même la tirelire pour se payer un cidre à 7,50$ le verre. Le prix de l’outback. Heureusement la barmaid plutôt sympa nous propose de remplir nos réserves d’eau potable. Car ici pas d’eau potable, il faut normalement payer ($5 la bouteille d’un litre, et il nous faudrait 40 litres… soit $200 !) car l’eau du puits artésien local est bien trop salée pour être bue.

Quelques dix kilomètres plus loin on termine la journée en campant au bord de la route déserte. On fait brûler un morceau de traverse de chemin de fer pour faire cuire des pommes de terre. Comme on n’est pas très doués elles finiront brûlées. Comestibles, mais plutôt désséchées. Encore une nuit fraîche, le thermomètre descend en dessous de -5°C, et dans les dernières heures de la nuit impossible de me rendormir à cause du froid. La journée en t-shirt, la nuit en doudoune, emmitouflé au fond du sac de couchage. C’est ça aussi l’outback australien.