Oodnadatta Track, partie 3 - Lake Eyre à Coward Springs
Après avoir levé le camp et parcouru quelques kilomètres nous rejoignons le bord du lac de sel, descendant en vélo et espérant pouvoir essayer d’y rouler. Hélas c’est un effort vain : même si la surface a l’air lisse et solide, ce n’est qu’une fine croûte de sel craquante qui recouvre une épaisse couche de boue et d’argile, on s’enfonce, impossible de pédaler, même à pied cela requiert un effort considérable pour avancer. Comme de la neige mais en plus collant.
Anne avec ses petits pieds a du mal à garder ses chaussures aux pieds et finit par les enlever pour marcher pieds nus. Ça a l’air rigolo de marcher dans la boue, mais rapidement le sel rend les choses moins marrantes : toute coupure, même minuscule se met à piquer très fort. Évidemment, il fallait y penser. Du coup je suis content d’avoir gardé mes chaussures. Encore plus après quand elle doit nettoyer ses pieds de la boue et du sel qui collent à la peau pour pouvoir remettre ses chaussures.
On s’amuse pas mal à marcher sur le lac et à admirer ce paysage unique et incroyable, une heure passe sans qu’on ne se rende compte, et il est déjà temps de repartir sur la route.
Nous faisons une pause au cottage abandonné de Curdimurka, où a lieu un bal déguisé tous les ans. Drôle de lieu.
Plus nous avancons sur la route et plus nous nous rendons compte qu’il y a en réalité de l’eau partout. Oh il y a bien sûr les trous d’eau qui restent dans les rivières, mais cette eau-là est bien trop salée pour être consommée. Mais il y a en réalité régulièrement des puits artésiens avec une eau en général légèrement salée mais totalement consommable. On se rend compte qu’on aurait pu ne pas nous alourdir de vingt litres d’eau chacun, car nous croisons au moins un robinet d’eau tous les deux jours. Parfois ce n’est pas un robinet à proprement parler mais une auge à eau pour le bétail, mais on peut y prendre de l’eau sans problème.
Le soir nous arrivons à Wabma-Kadarbu Mound Springs Conservation Park, où nous pouvons témoigner d’un des plus beaux paysages que nous ayons vus sur le chemin. Ici subsistent certaines des dernières sources artésiennes qui jaillissent au sommet d’une petite colline, dénommées « mound springs » (sources-collines). Dernières, car le nombre de forages dans le bassin artésien est si important, que la pression dans les sources naturelles a baissé. Et la plupart de celles-ci sont aujourd’hui à sec, ou alors ne sont plus qu’un faible ruissellement. Là où avant elles étaient puissantes et formaient de larges marécages il ne reste plus que des paysages lunaires à cause des résidus de sel.
Ce n’en est pas moins sublime. Blanche Cup par exemple est une source d’eau parfaitement potable au sommet d’une petite colline, qui coule lentement et produit une végétation étrange pour le lieu, tel cet eucalyptus, le seul qui pousse naturellement à des dizaines de kilomètres à la ronde.
Mais il y a de quoi être un peu triste quand on va voir « The Bubbler », une source qui aujourd’hui produit une eau tiède et quelques bulles. Pas très impressionnant quand on pense qu’avant les bulles montaient jusqu’à 50 cm au dessus de l’eau, et en 1897 Jerome Murif, le premier cycliste à traverser l’Australie d’Adelaide à Darwin décrivait le lieux comme ceci :
« L’autre source est connue localement sous le nom de "Boiling Spring". Coulant plus fortement que Blanche Cup, elle bout et produit de grosses bulles au centre, non pas par la tempérture mais par la force avec laquelle l’eau est poussée vers la surface. La température de la source est d’environ 37°C. Un cercle de sable et de sédiments d’environ un mètre de diamètre est en mouvement constant autour des bulles du centre, et autour est un cercle d’eau parfaitement claire. Le tout est entouré par un autre cercle de roche blanchâtre d’un mètre de large.
Environ une fois toutes les demi-heures le sable retombe au centre et bouche l’arrivée d’eau. Avec la pression cela produit une grosse bulle qui s’élève à la surface et libère le passage pour l’arrivée d’eau. De larges bulles s’élèvent à la surface, un grondement se fait entendre et la source se remet à produire de petites bulles jusqu’à ce que le cycle se répète. »
Seulement dix ans plus tard le vélo était devenu le principal moyen de transport des tondeurs de moutons, des travailleurs saisonniers et même des prêtres dans l’outback australien. Imaginez un peu ces hommes et femmes qui traversaient le bush sur des vélos de ville, sans vitesses, sans garde-boues, sans suspensions, sans freins, et même sans roue libre, exigeant ainsi de pédaler tout le temps, et gare si vous perdiez les pédales en descente, plus aucun moyen de freiner ! Et eux ne transportaient pas 20 litres d’eau ou 20 kilos de nourriture, ils se contentaient d’une couverture, une brosse à dents, un fusil, une gourde et quelques outils et pièces pour le vélo. Pour la nourriture ils chassaient sur la route ou s’arrêtaient dans les quelques fermes et rares hôtels sur la route, profitant de l’hospitalité des habitants du bush australien. Alors nous, notre périple, vous pensez bien, à côté de ça, ce n’est que du grand confort et du grand luxe avec notre tente, matelas gonflable, duvet de canard et nutella au petit déjeuner !
Onze kilomètres plus loin nous rejoignons Coward Springs. Cet ancien hameau au bord de la voie ferrée profitait auparavant d’un hôtel et d’un forage artésien si puissant qu’il a donné naissance à un bain à bulles réputé pour les voyageurs du Ghan. Depuis, afin de réduire la perte de pression du grand bassin artésien australien, le puit a été re-percé pour pouvoir installer une valve et réduire la pression. Le spa « naturel » de nos jours est donc en réalité une pompe électrique qui crée les bulles comme auparavant. L’eau qui coule du spa est déversée dans le marécage afin de préserver cet oasis créé artificiellement il y a plus d’un siècle.
Du hameau il ne reste aujourd’hui que deux bâtiments qui ont été restaurés dans les années quatre-vingt-dix par les nouveaux propriétaires. L’un est leur maison l’autre est un petit musée sur l’histoire du lieu, la faune du marécage et le Ghan. Il reste aussi une quantité phénoménale de morceaux de verre, résultat d’un certain nombre de bouteilles et verres bus au pub de l’hôtel au siècle dernier. Les propriétaires ont aussi créé un camping « écolo » très sympa, avec douches chauffées par le classique « donkey » au feu de bois. Nous ne profitons pas du camping mais ne manquons pas de nous baigner dans le spa, particulièrement agréable après plusieurs jours de pédalage. Nous faisons aussi le plein d’eau potable grâce aux réservoirs d’eau de pluie. L’eau du puits artésien est aussi potable mais légèrement salée. Nous trouvons le lieu particulièrement joli, agréable et reposant. D’ailleurs il est à vendre. Mais je n’ai pas mon chéquier sur moi, dommage.
Après un déjeuner bien fourni on reprend la route pour rejoindre l’ancien cottage de Beresford. On y trouve un refuge bienvenu, et en faisant du feu dans la cheminée on a un peu moins froid. La température descend encore en dessous de 5°C chaque nuit en ce moment.
Beresford est situé sur les terres de l’empire de bétail de Sidney Kidman, autrement connu comme étant le plus grand élevage de bétail au monde. Le nom de cet élevage c’est Anna Creek, et il est plus grand que la Belgique. Sauf qu’il n’y a que dix habitants. Il est aussi à vendre, tout l’empire de Kidman, pour la modique somme de plusieurs centaines de millions de dollars. Mais bon, comme je disais j’ai laissé mon chéquier en France, dommage.