Mawson Trail — de Laura à Wilpena (Flinders Ranges)
Après Laura on hésite, il a bien plu, mais maintenant il fait doux, gris, mais sec. Les pistes et routes seront-elles boueuses ? Un autre élément s’ajoute à la réflexion : suite au dévissage inattendu du bouchon du flacon d’huile pour chaîne (à cause des vibrations sur les chemins tape-cul), la moitié de nos chambres à air sont foutues, car partiellement recouvertes d’huile. L’effet que ça a eu sur le caoutchouc est impressionnant : ça a fait des bulles. Je ne sais pas si ça n’aurait pas rendu les chambres à air poreuses. Et du coup nous n’avons plus d’huile. Et le prochain vélociste est à Melrose, à plus de 50 km de là. Et c’est aussi le dernier vélociste avant Alice Springs, dans plus de 2.000 kilomètres. Nous sommes lundi, il est 10h, le vélociste ferme à 17h et n’est pas ouvert demain mardi. On se dit que vu notre rythme habituel on n’a pas trop le temps d’y parvenir avant que ça ferme, et qu’on ne veut pas trop se presser non plus, donc tant pis pour l’huile, on trouvera bien de l’huile de moteur ou autre dans un autre patelin et ça fera l’affaire. Et il nous reste quand même au moins trois chambres à air en bon état.
Donc on décide de prendre le Mawson Trail aujourd’hui, et on entame par des routes de gravier en bon état, bien sèches. Puis une piste 4x4 entre deux champs, dans la terre rouge. Et qui commence pas mal. Mais voilà un passage boueux, puis un autre, et encore un autre, et finalement, tout est boueux. Les roues sont bloquées, même en poussant les vélos c’est galère. On finit par rejoindre une route de gravier, après deux heures pour faire trois kilomètres. Et comble de l’emmerdement, une sangle d’une sacoche avant nous lâche, c’est la troisième sacoche Crosso qui nous fait défaut depuis le début, ça commence à faire beaucoup. Le temps de réparer avec les moyens du bord on est décidés à abandonner le Mawson Trail pour aujourd’hui et reprendre la route goudronnée.
On s’arrête à Murray Town pour se reposer. Il est 16h déjà, et il reste 14 kilomètres jusqu’à Melrose. Je me dis que ça roule pas mal, on pourrait peut-être… Et après 40 minutes de pédalage intensif et plusieurs montées, on arrive au vélociste, qui nous déleste de 30 dollars pour une chambre à air et un flacon d’huile pour chaîne. Il ne reste plus que quelques minutes pour acheter une glace au magasin d’à côté qui est en train de fermer. Histoire de se remettre de nos émotions.
Le lendemain, il pleut à nouveau. Nous ne verrons rien de Mt Remarkable, perdu dans la brume. Nous sommes trempés en arrivant à Wilmington, où on se repose et mange un peu en faisant sécher rapidement nos affaires. On avance rapidement. Il n’y a pas à dire : la route goudronnée c’est quand même plus rapide et facile. C’est à se demander comment les pionniers du vélo faisaient pour parcourir jusqu’à plus de 200 kilomètres dans une journée, et ce sur des semaines entières, à une époque où il n’y avait aucune route goudronnée et encore moins de route en gravier, uniquement de vagues chemins utilisés par les chevaux et les chameaux. Moi je préfère maintenant avec le goudron quand même.
Nous arrivons à Quorn en fin d’après-midi, juste assez de temps pour faire quelques courses à la supérette locale, puis rejoindre notre refuge pour la nuit, Dutchman’s Hut, au pied de Dutchman’s Stern. Cette hutte du Heysen Trail est un ancien refuge de tondeurs de moutons. Ceux-ci étaient en effet nomades et se déplaçaient en fonction des saisons de tonte des différents états d’Australie, et étaient donc hébergés sur place. Le refuge est donc simple : un toit de tôle ondulée (avec trous d’époque), et des murs en tôle ondulée. Mais à l’intérieur il y a quand même un poêle, une plateforme pour poser son matelas pour dormir (en évitant les gouttes d’eau qui viennent du toit), une table, des chaises et bancs, un évier avec de l’eau de pluie et comble du luxe : l’électricité. Il y a même un micro-onde !
On profite de ce havre pour faire cuire une pizza surgelée dans le four du poêle à bois et échapper à la pluie battante qui tambourine sur le toit. Le lendemain le ciel est gris, le brouillard recouvre Dutchman’s Stern, mais cela ne nous empêche pas d’y aller nous promener, faire la petite boucle qui serpente dans la montagne, entre les cris des chèvres qui escaladent les falaises et le calme de la nature qui se protège du froid et de l’humidité inhabituelle pour un endroit habituellement si sec.
Nous restons à la hutte une nuit de plus, à fréquenter les wallabies qui à l’aube et au crépuscule viennent encercler le refuge pour dévorer l’herbe verte. Mais hélas au matin il faut repartir et avancer sur la route, malgré le froid. Heureusement la pluie a cessé, et nous pouvons reprendre le Mawson Trail qui ne nous pose aucun problème aujourd’hui. Nous quittons Quorn et la dernière supérette avant Leigh Creek, dans quelques centaines de kilomètres, et entamons notre périple vers des contrées plus sauvages et préservées tel que le parc national des Flinders Ranges. Les paysages sont de plus en plus magnifiques à chaque kilomètre parcouru. Mais certains kilomètres sont plus difficiles et longs que d’autres, notamment quand un furieux vent de face nous empêche d’avancer plus vite qu’à 6 ou 7 km/h. Certaines routes, toutes droites sur des kilomètres et des kilomètres, sont longues, très longues.
Après un réveil au son guttural des émeus qui tournent autour de la tente, nous parvenons à Hawker sans encombre, où un burger bien mérité au seul café/restaurant du patelin nous remplit l’estomac.
Nous parcourons ensuite plusieurs kilomètres sur des pistes en bon état, puis nous retrouvons au milieu d’un pré, sur un grand plateau, à pédaler comme des fous pour avancer sur une surface étrange qui semble sèche, mais s’enfonce sous les roues, comme si nous roulions sur une moquette très épaisse. La progression est lente et nous sommes forcés de camper au milieu du plateau, sans réelle protection du vent, en espérant qu’il ne se remette pas à pleuvoir, car une telle surface serait un cauchemar s’il pleuvait, il nous faudrait des heures et des heures pour rejoindre une route goudronnée en poussant ou portant les vélos. Heureusement il ne pleut pas, et cette nuit-là le ciel dégagé nous offre une belle vue sur les étoiles et la voie lactée, sans aucune lumière à des kilomètres à la ronde pour perturber cela.
Au matin la toile de tente est rigide, les sacoches recouvertes de givre, il fait froid et humide, mais le soleil ne tarde pas trop à se montrer et nous réchauffer, heureusement. La journée continue sur cette surface molle, puis on quitte le plateau via une descente dans les rochers qui nous force à pousser les vélos pour ne pas chuter. Et encore des kilomètres à rouler lentement dans un paysage dévasté par les vaches et les moutons, mais au loin les montagnes offrent de si jolies vues qu’on en oublie qu’autour de nous seules subsistent les plantes qui savent se protéger du bétail avec leur épines solides.
Il ne nous reste plus qu’à traverser Moralana Scenic Drive, une route 4x4 touristique coincée entre les Flinders Ranges et Elder Range, et après quelques kilomètres de route goudronnée on rejoint une piste de service qui nous fait rencontrer des centaines de kangourous et wallabies qui s’enfuient à notre approche. Je n’ai jamais vu autant d’animaux sauvages de toute ma vie, et le spectacle est fascinant. Plus que quelques tours de manivelle et nous sommes déjà à Wilpena, point central du parc national des Flinders Ranges, qui vend quelques produits hors de prix, mais nous craquons quand même pour un bon pack de cidre, malgré le prix de 22 dollars, nous permettant de fêter notre arrivée dans le parc national.