Mawson Trail — Burra à Laura
Nous reprenons la route et découvrons un décor qui change doucement, des collines moutonnantes et verdoyantes nous passons à de petites chaînes de montagnes, du sable rouge et de la roche blanche. Plus de champs, plus de vignes, quasiment plus de moutons. Des eucalyptus, des vallées arides, du spinifex : ça y est on a rejoint l’Australie, la vraie, celle qui est restée plus ou moins sauvage.
Les plaines sont découpées par des gorges creusées dans la terre, de manière dramatique, par les pluies torrentielles, aussi soudaines que rares. Ainsi ce qui de loin semble être une plaine tranquille se révèle être un véritable roller-coaster à devoir traverser ces gorges qui déchirent la platitude. Et c’est tellement beau… On en profite tellement qu’on termine la journée en pédalant à la faible lumière du crépuscule pour rejoindre notre refuge pour deux jours : l’ancienne école de Mt Bryan East.
Transformée en refuge pour les randonneurs du Heysen Trail, elle sera aussi notre maison pour deux nuits à se reposer et profiter du poêle, de la table, des chaises, du fauteuil et des matelas. Le tout est bien poussiéreux, mais un vrai luxe pour nous. On s’y sent comme chez nous, et il sera difficile de quitter ce havre de paix, seul au milieu des champs, sans aucune habitation avant plusieurs dizaines de kilomètres, sans lumière, sans électricité, sans téléphone mobile, sans voiture ni aucune circulation. On croisera simplement un seul marcheur du Heysen Trail qui reste là quelques jours à cause d’un genoux douloureux.
Lors de notre jour de « repos » on ira grimper au sommet de Mt Bryan, autour duquel le Mawson Trail tourne pendant quelques jours, seule montagne du South Australia à recevoir parfois de la neige. Ce que je veux bien croire vu le froid et le vent glacial qui nous reçoivent au sommet. Mais quel paysage, quelle vue, c’est franchement sublime, et marcher un peu est si reposant après plus d’une semaine de pédalage. Ça donne envie de repartir et marcher tout le long du Heysen Trail.
Après avoir quitté cette contrée si particulière nous rejoignons en une journée des paysages plus civilisé, et c’est au pied d’éoliennes que nous camperons. Si le soir le vent ne soufflait pas beaucoup, la présence d’un champ d’éoliennes au sommet de la colline aurait dû nous indiquer que la nuit ne serait pas de tout repos, car effectivement pendant la nuit la tente était plaquée sur nous par la force du vent, et au matin on aura un mal de chien à la replier sans que rien ne s’envole, avant que nous ne descendions la colline à grande vitesse, le vent dans le dos, pour aller prendre le petit déjeuner à un endroit un peu moins joli mais aussi moins venteux.
Le lendemain nous longeons le canal de Bundaleer, un réseau d’aqueducs qui avait pour but de collecter l’eau des vallées avoisinantes pour rejoindre un grand réservoir et ainsi disposer d’une réserve d’eau permanente pour l’agriculture dans cette région très aride. Construit en 1902, le réseau de canaux, ponts et tunnels sera abandonné en 1944 au profit d’un pipeline. Évidemment le principal problème de cette idée c’était l’évaporation et les nombreuses fuites des canaux en béton, perdant une grande quantité d’eau. Aujourd’hui les canaux sont toujours là, les ponts et tunnels aussi. Et le Mawson Trail suit une bonne partie d’un des canaux, permettant d’explorer un paysage singulier, témoin d’une époque révolue où on construisait des projets pharaoniques en quelques mois ou années, à l’aide de centaines ou milliers de travailleurs mal payés, et au prix de nombreuses vies. Et pour nous au prix d’incessantes barrières qu’il faut ouvrir et refermer derrière nous : deux barrières tous les 500 mètres. En essayant de tenir tant bien que mal d’une main le vélo et de l’autre la barrière l’exercice est très vite énervant.
Le lendemain la pluie s’installe pendant la nuit et continue toute la matinée. Résultat en moins d’un kilomètres de petit chemin dans les prés les roues des vélos sont tellement boueuses qu’elles se bloquent, impossible d’avancer sans débloquer la boue avec les moyens du bord tels que des branches mortes. On rejoint une route de gravier, mais c’est encore pire : elle vient juste d’être refaite, et le revêtement de poussière et sable fin s’est transformé en mélasse grise et collante. Nous devons rouler dans l’herbe en bord de route jusqu’à rejoindre l’endroit où la route n’a pas encore été refaite et qu’elle ne colle plus aux pneus.
Vu les conditions nous sommes obligés de quitter le Mawson Trail et rejoindre la route goudronnée pour la journée, surtout que la pluie continue par épisodes. On rejoint donc la petite ville de Laura en passant par Jamestown et son petit supermarché, en dehors du tracé du Mawson Trail. À Laura on va au camping pour prendre une douche bien méritée, laver et sécher nos affaires, et faire à manger dans la cuisine commune.