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Dix jours dans les Gammon Ranges — Vulkathunha National Park

Ce qu’on ne vous dit pas dans les brochures touristiques sur l’Australie c’est qu’il n’y a pas que le sable, le soleil, les plages, les beaux paysages, les animaux sauvages, et tous ces trucs en -age. Certes la journée il fait beau, soleil, en général assez chaud, peu de pluie. Si rare que quand elle se pointe on est agréablement surpris. Sauf quand il faut pédaler dans la boue, évidemment. Mais la nuit, parfois, souvent, il fait froid, humide, on se caille les miches. Dès que le soleil se couche la température descend. Et ces jours-ci elle descend souvent en dessous de zéro. Pourtant la journée il fait 20, 25 ou même 30 degrés. Tranquille quoi. Mais le soir on a vite fait de passer du t-shirt à la doudoune. Des sandales au sac de couchage, avec chaussettes et collant. C’est surprenant.

Pour nous français, il fait froid d’accord, mais c’est pas pire que nos hivers avec des -5, -10 ou -15 degrés, et puis dès que le soleil se lève il fait bon. Et on voit le soleil. Je me souviens de l’hiver dernier en France, je n’ai pas vu le soleil pendant des semaines d’affilée. Gris, gris, gris. Déprimant. Là, bon, difficile de se plaindre. Les australiens eux ont du mal à supporter. Ils se font des feux de camp et s’y rattroupent dès que la température baisse en dessous de 20°C, mettent des bouillottes dans leur lit et ne cessent de se plaindre. « It’s cold mate hey ? — Nah, not really, it’s nice weather for us. » Et là ils te regardent avec des yeux de merlan frit comme si on était en plein milieu de l’Antarctique et que tu disais que bon -50°C c’est frais, mais ça va il suffit de mettre une petite laine. Sache-le, cher journal, l’australien à le sang chaud.

Traverser la petite ville de Leigh Creek c’est tout un programme touristique. Cette petite ville de 500 habitants est une ville minière, ce qui signifie que l’essentiel de sa population et son activité est concentrée autour de la mine toute proche. Une mine de charbon. Immense. Pour vous dire l’étendue des opérations de la mine, chaque jour un train de plusieurs kilomètres de long, rempli de charbon, va jusqu’à Port Augusta, à 250 kilomètres au sud, pour qu’il soit brûlé dans une centrale électrique, qui produisait jusqu’à 40% de l’électricité de l’état du South Australia. La ville a été construite par la compagnie minière, et la plupart de ses services lui appartiennent ou sont financés par la mine : supermarché, bistrot, hôtel, école, hôpital, etc. Pour pouvoir exploiter un nouveau filon la ville a même été déplacée dans les années 70. Oui ils ont construit une nouvelle ville pour pouvoir détruire l’ancienne et creuser pour exploiter le charbon. Une ville entière, certes il n’y avait que 700 habitants à l’époque, mais quand même. D’ailleurs ça se voit dans l’architecture actuelle de la ville, probablement conçue par un de ces architectes mégalo à l’origine de ces villes toutes faites comme Griffith dans le NSW ou Yulara, le complexe touristique à l’entrée du parc national d’Uluru : les rues sont toutes en rond, c’est très joli sur un plan, mais en pratique c’est complètement paumatoire et illogique.

Le problème maintenant c’est qu’à cause d’une réduction de la consommation électrique des ménages et la montée en puissance des énergies renouvelables dans le South Australia, brûler du charbon n’est plus si utile ou économique que ça, donc la centrale va fermer, et la mine aussi, pas plus tard qu’en novembre 2015. 400 des 500 habitants sont employés par la mine. Je vous laisse deviner l’effet que va avoir la fermeture de la mine sur la ville.

Si je te raconte tout cela, cher journal, c’est pas pour te montrer que bon les énergies renouvelables ça marche vraiment pour remplacer les centrales à charbon, ça on le savait déjà. Non c’est parce que pour nous Leigh Creek c’est une bouée de civilisation dans un océan d’outback. Le dernier « grand » supermarché (Woolworths) était à Clare, il y a plus de 800 kilomètres. Le dernier petit supermarché (comprendre grande supérette aux prix 2 à 3 fois supérieurs à un grand supermarché) était à Quorn, un petit IGA, il y a déjà 300 kilomètres. Et à Leigh Creek il y a un Foodland, une « super » supérette (un grand IGA). Bon c’est un magasin très bordélique, avec de l’huile de moteur et des vêtements au milieu des jouets pour enfant, à côté du papier alu et des bonbons. Et l’approvisionnement est irrégulier au mieux. Venez lundi il y aura des cookies mais pas de céréales, venez mardi il n’y aura plus de cookies, toujours pas de muesli, mais du chocolat Cadbury en promo (miam), mercredi vous aurez de la sauce tomate et du muesli, mais pas de spaghettis, etc etc. Mais bon pour nous c’est quand même un luxe énorme, car le prochain supermarché, ou même la prochaine supérette, c’est à Alice Springs, dans 1.200 kilomètres. Entre les deux il n’y a que des « general store » ou « community store » ou « roadhouse », comprendre une petite étagère remplie de bouffe achetée au supermarché le plus proche (loin, donc, si vous avez compris), vendue dix fois plus chère, et si vous avez de la chance elle n’est pas périmée depuis des mois.

Donc nous on se jette sur Leigh Creek comme un troupeau de chameaux qui n’aurait pas bu d’eau depuis des semaines. On dévalise le supermarché, puis on va à la bibliothèque sur internet, puis on va à l’hôtel-bistrot-resto pour se bouffer un méga-burger trop bon en buvant du cidre. Pas forcément dans cet ordre-là. Puis on repart camper après la ville.

Parce qu’on ne part pas encore tout de suite pour Alice Springs. Avant on a décidé de se payer encore un peu de montagnes. C’est parti pour dix jours dans les Gammon Ranges, dans le parc national de Vulkathunha, autrement dénommé « Northern Flinders Ranges ». Après ce burger géant on part dormir au bord d’une rivière à sec, pas vraiment dans la rivière car il paraît qu’elles peuvent se mettre à couler n’importe quand s’il pleut en amont. Et se retrouver le cul dans l’eau au milieu de la nuit n’est pas forcément très agréable. On se met ce soir à la cuisine du bush australien, on prépare notre propre pain dans le feu de camp. Du sel, de la farine, du lait en poudre et de l’eau, 15 minutes dans les braises et hop du bon pain frais. On se croit boulangers d’un coup. En plus c’est bon.

Les jours qui suivent nous amènent sur la route en direction d’Arkaroola, un terrain privé (pas juste un champ hein, c’est très grand) transformé en réserve sauvage, à 130 km de Leigh Creek. Les vues magnifiques se succèdent sans nous lasser, mais la route met nos nerfs à rude épreuve, d’abord correcte, puis de plus en plus tape-cul, incrustée de galets et de graviers, qui monte et descend sans cesse.

Parfois, pour nous remettre le sourire, on croise des chevaux sauvages, des émeus, des kangourous. J’ai bien essayé de convaincre Anne d’utiliser ses talents de dressage de chevaux pour en atteler quelques uns pour me tirer dans les montées, mais elle ne semble pas si talentueuse que ça. J’ai essayé de lui expliquer que même si en France ça coûte cher un cheval, et qu’ici ils ne savent plus quoi en foutre, on ne peut pas en ramener un dans l’avion. Même avec un chapeau et des lunettes on voit bien que c’est un cheval et il faudra payer un billet plus cher.

Peine perdue, les chevaux nous ont suivi et ont tourné autour de la tente pendant toute la nuit, et au matin ils viennent nous quémander à manger. Merci Anne.

Nous atteignons le complexe « éco-touristique » d’Arkaroola après 3 jours de pédalage. Par « éco » comprenez que les campeurs ont coupé tous les arbres autour du camping pour faire du feu, que les chiottes sont à moitié délabrées, que la cuisine du camping est dans un état d’abandon avancé, et que ce doux ronronnement à côté du camping ce n’est pas un kangourou qui veut vous faire des câlins mais le générateur électrique à diesel qui tourne 24h/24. Mais on paye quand même pour rester là. Pas le choix, tous les sept à dix jours on se paye le luxe de se prendre une douche chaude et faire une lessive. Pas que les machines à laver australiennes lavent quoi que ce soit, mais bon c’est psychologique. Notre séjour au « resort » ne s’éternisera donc pas et nous repartons le lendemain, encore admiratifs de ces caravanes et remorques australiennes qui se déplient dans tous les sens pour former des abris aussi luxueux (et coûteux) que le Hilton. Quand on sait que ça c’est voyager léger pour un Australien…

Le lendemain nous nous baladons sur Barraranna loop walk, plutôt chouette coin avec ses trous d’eau, ses falaises, et ses rock wallabies.

Le lendemain nous reprenons les vélos pour une courte balade à Wooltana Cave, une grotte jadis exploitée pour ses réserves de guano (du caca de chauve-souris, je précise pour ceux qui ne sauraient pas), accumulées pendant des milliers d’années. Le guano fait un excellent fertilisant pour les champs. De nos jours plus personne ne descend dedans pour remonter du caca de chauve-souris, sauf les rares scientifiques qui trouvent rigolo de fouiller dedans pour découvrir les espèces d’animaux et de plantes figées sous des couches et des couches et qui indiquent à quoi ressemblait la région quand elle était encore une région tropicale. C’est à dire pas hier.

S’ensuit une épreuve de résistance à la vibration pour nos vélos et nos postérieurs : 17 kilomètres de piste 4x4 pour rejoindre Grindells Hut, au cœur du parc national. Une piste remplie de cailloux, avec de longs passages dans les galets, un certain nombres de montées et descentes et une habilité à éprouver notre moral face au secouage en règle. Alors oui ce que c’est beau, mais ce qu’on en chie aussi.

En arrivant à Grindells Hut, on va laisser nos vélos à la petite cabane dédiée aux marcheurs (que nous serons le lendemain), et on se fait de suite inviter à boire une bière par une bande d’australiens déjantés qui louent la grande maison à côté pour la semaine. Cette famille qui se retrouve tous les ans entre cousins, parfois pour traverser le Simpson Desert, d’autres fois pour retracer leurs origines familiales dans la ville abandonnée de Beltana (avant Leigh Creek), a décidé de se retrouver ici cette année. La maison se loue auprès du parc national pour 77$ par jour et peut héberger 7 personnes, ce qui en fait un hébergement plutôt pas trop cher vu qu’on est à des kilomètres de tout et qu’il y a ici tout le confort moderne : cuisinière et frigo au gaz, douche chaude, barbecue, lumière solaire…

Alors évidemment on nous offre une bière, puis une autre, puis un verre de vin, puis un autre. Puis un repas. Anne ne cesse de vouloir refuser par politesse, mais au diable la politesse, ces gens sont sacrément sympathiques, on passe une bonne soirée, et on se fait nourrir, pourquoi refuser ! On passe ainsi une excellente soirée, à discuter autour du feu de camp, une bière dans la main, avec Helen, Leslie, Paul, Katrina, Bryan, Sarah et Chris. Les histoires fusent. Bryan conçoit les vélos de l’équipe olympique australienne, un sacré hasard. Et Chris a été policier à Marree, un petit patelin sur l’Oodnadatta Track, notre prochaine destination, et nous régale d’histoires vécues désopilantes sur sa courte expérience là-bas. On remonte difficilement jusqu’à notre cabane, à moitié bourrés, à la lumière de nos lampes frontales, pour se coucher heureux d’avoir rencontré cette famille et d’avoir été accueillis comme des amis de longue date. Une expérience rare et précieuse.

Le lendemain on a bien du mal à se lever et partir pour notre randonnée dans les gorges du parc national. Après quelques kilomètres de vélo, sac à dos bien chargé, nous arrivons au cœur du parc, où un panneau n’indique aucune balade, aucun truc à voir, simplement qu’à partir de là il faut se démerder tout seul et être bien équipé. D’accord. Nous, on a des photocopies d’un livre sur les randos dans le coin, un bouquin qui a 25 ans et n’a jamais été mis à jour. Une carte topographique noir et blanc photocopiée et le téléphone en guise de boussole. Donc tout va bien !

Notre objectif est d’aller voir le célèbre (enfin c’est tout relatif) Bunyip Chasm. On commence donc par marcher dans une rivière à sec, escaladant les rochers, jurant contre ces ****** de galets. On parcourt 4 km en 2 heures, le rythme normal dans un tel environnement. Ce n’est pas très difficile mais assez crevant.

Après quelques kilomètres nous laissons les sacs à dos, pensant que le terrain devenant difficile, c’est le signe qu’on va bientôt rejoindre l’entrée du premier « chasm » avant Bunyip Chasm. Pas de bol c’est encore 2 kilomètres plus loin qu’il faut laisser les sacs à dos comme indiqué dans le guide. Bon pas grave on reviendra tout à l’heure. On continue donc sans les sacs, avec le guide sur le Kindle, la balise de détresse et l’appareil photo. Il faut dire que pour le moment c’est plutôt chouette, mais le terrain est déjà assez fatigant, la progression est lente.

Nous arrivons finalement à l’entrée du premier défilé, étroit et majestueux, avec des parois rouges qui remontent quasiment à la verticale sur des centaines de mètres de dénivelé. Très impressionnant, tout le coin est rempli de ces gorges très profondes et raides, c’est un endroit vraiment à part. Mais la première difficulté apparaît. Le guide mentionne qu’il y a peut-être un tronc d’arbre pour aider à franchir le premier pas d’escalade. Ce qu’il ne mentionne pas c’est que ce tronc est à 3 mètres du sol au point le plus haut, qui est aussi le point le plus difficile. Il faut tenir en équilibre, les pieds sur le tronc (qui est penché) en mettant les mains contre la paroi rocheuse. Si on glisse on risque bien de se péter une jambe en dessous. On se dit que c’est bon il y a l’air d’y avoir des gens qui y sont déjà passés, ça doit se faire. On le fait donc, mais je peux témoigner que c’est un des trucs les plus flippants que j’ai fait. On est passés, mais je n’en menais pas large ensuite.

Après avoir terminé ce petit défilé il y a encore un peu de marche en fond de rivière, puis on arrive dans un cirque, et c’est là que j’ai réalisé que le mec qui a écrit le guide n’est pas un randonneur classique mais un putain d’Indiana Jones. En effet dans ce cirque à gauche il y a une cascade (sèche), paroi rocheuse haute et infranchissable. Tout droit, pareil. À droite il y a une autre cascade, à moitié humide, paroi rocheuse d’une quinzaine de mètres, glissante à cause de l’eau qui ruisselle. J’ai déjà fait de l’escalade à mains nues en rando, sur des parois faciles sans sac à dos, mais plus dures avec un gros sac, mais là ça n’a rien à voir, d’autant plus qu’il faut ensuite repasser par là pour revenir. Le guide décrit : « la paroi est raide mais ce n’est pas une ascension difficile ». C’est une paroi, quasiment verticale, de 15 mètres de haut, lissée par l’eau, humide et glissante. Pour moi c’est plus que difficile là, c’est dangereux.

On renonce donc, pas question de prendre des risques inconsidérés, et après le coup sur le tronc d’arbre je ne me sens pas trop en confiance. Je lirais plus tard dans le récit d’autres personnes que rares sont ceux ou celles qui ont grimpé plus loin que nous. Pas étonnant : sans corde c’est carrément dangereux.

Du coup on a commencé à réfléchir sur la suite. On aurait dû remonter depuis le fond de la gorge jusqu’au sommet de Mt John Roberts par une ravine. Le guide indiquait « c’est une section raisonnablement difficile [...] très raide [...] il faut grimper sur les genoux et les coudes [...] dans le spinifex ». OK. Je vous rappelle que grimper une paroi rocheuse à mains nues n’était "pas difficile". Alors du coup on n’a pas trop eu envie d’aller continuer la section "raisonnablement difficile", surtout après avoir vu le début. On décide donc de changer les plans et de monter Mt John Roberts par l’autre côté, plus facile, qu’on aurait dû prendre au retour. On redescend donc la gorge, on reprend les sacs à dos, on mange un coup et on retrouve les vélos pour monter sur le plateau de Gibber Plain. Pour les ignorants (comme moi), une Gibber Plain (reg en français), c’est une plaine de cailloux : les éléments fins (terre, sable) ont été balayés par le vent et il ne reste que les cailloux. C’est bien, c’est joli, mais moins sympa pour planter la tente.

Le lendemain on s’attaque donc à Mt John Roberts, armés de notre carte et de notre boussole, on essaye de reconnaître les montagnes, les vallées et les directions à prendre. Car ici, pas de sentier, pas de panneau, pas de flèche, il faut naviguer à la boussole en suivant les instructions du guide. Des instructions aussi précises que « suivre la rivière en direction sud-est » ou « tourner à droite quand vous voyez de nombreux pins morts ». Je vous laisse imaginer qu’en 25 ans les pins morts ont eu le temps de pourrir et disparaître, et que bon la rivière c’est bien joli mais elle fait 2 km de large et se divise tous les 200 mètres. Du coup c’est plutôt pas évident de suivre l’itinéraire décrit, mais bon on y parvient sans trop se perdre (merci GPS).

On trouve la bonne colline à grimper pour rejoindre la crête de Mt John Roberts (les autres tombent sur des falaises, fallait donc pas se gourer sinon fallait redescendre et recommencer), mais arrivés au sommet de la colline, Anne en a marre et décide de rester se reposer là. Je monte donc tout seul le long de la crête jusqu’au sommet de Mt John Roberts. Au moins c’est pas dur niveau orientation, il suffit de monter la crête jusqu’à 880 mètres d’altitude. Au sommet je découvre un cairn et une boîte contenant une carte du coin (c’est cool mais bon maintenant que je suis là c’est probablement que j’avais déjà une carte) et un livre d’or. Le temps de prendre des photos tout autour, de baver devant le paysage et je redescends en essayant de limiter le nombre de fois où je mets les pieds dans une touffe de spinifex.

Il ne nous reste alors plus qu’à retracer la route dans l’autre sens et regagner les vélos, puis la hutte et retrouver nos amis qui encore une fois nous invitent à partager leur repas. Le lendemain c’est armés d’un pot de confiture d’abricot maison de Katrina et d’une part de Rocky Road (sorte de chocolat fait maison à base de chocolat, de noix en morceaux et de chamallow, délicieux) offerte par Chris que nous quittons nos nouveaux amis et reprenons la route sur nos vélos pour quitter le parc national et revenir à Leigh Creek avant de repartir vers de nouvelles aventures…