Détour(s) d'Australie

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De Parachilna Gorge à Leigh Creek

Terminer le Mawson Trail et ses 900 kilomètres de pistes diverses et variées, ses montées et descentes, était pour nous une étape véritable, importante, une démarcation avec ce qui allait venir. Mais on ne pensait pas que la démarcation dans le paysage serait aussi brutale, nette et radicale.

Après avoir visité un peu Parachilna Gorge en suivant le Heysen Trail qui suit le fond de la gorge, on en a vite eu marre de rester en bas alors que les montagnes autour avaient l’air si chouettes. Ni une ni deux on quitte le sentier, on enjambe un barbelé et nous voilà à l’assaut de la colline la plus proche. Enfin colline, une véritable montagne, très raide, et parsemée de spinifex, cette herbe très rigide aux pointes acérées qui piquent comme des aiguilles, même à travers les vêtements ou les chaussures. Et si vous aviez le malheur de tomber dedans, les pointes se casseraient en entrant dans votre peau et il faudrait des jours ou des semaines pour vous débarrasser de toutes ces aiguilles. Autant dire qu’on préfère si possible rester à l’écart.

L’avantage c’est que ces herbes sont le refuge idéal des petits animaux : lézards, souris, rats, insectes. En effet les prédateurs ne les suivront pas là-dedans. Les seuls à pouvoir passer outre sont des herbivores, les euros, kangourous locaux, qui disposent d’un système digestif capable de digérer le spinifex. D’accord pour la digestion, mais moi je dis que ça doit bien piquer le palais ! C’est grâce à cette plante spéciale qu’on apercevra ici notre premier skink qui s’est aventuré au soleil pour se réchauffer.

Oh, et la vue au sommet ? Magnifique, magique, incomparable, superbe. Et de s’imaginer que toutes ses montagnes et vallées autour de nous, sur des dizaines ou centaines de kilomètres, n’ont aucune route, aucun sentier, aucune habitation, ville ou antenne de téléphonie mobile. Qu’il est fort probable qu’aucun humain ne soit passé dans ces endroits depuis des milliers d’années. Cela ouvre quelques portes dans notre imagination, et nous béats et admiratifs. C’est pour des endroits comme ça qu’on est venus ici.

Après cette courte aventure pédestre nous enfourchons à nouveau nos fiers destriers qui ne mangent pas d’avoine et nous terminons la route de Parachilna Gorge jusqu’à cet instant stupéfiant où au détour d’un virage nous quittons les montagnes pour débouler dans une large plaine qui s’étend au delà de l’horizon, ne laissant entrevoir aucune colline, aucune forme autre que la platitude.

Nous rejoignons la route goudronnée, bienvenue après plusieurs dizaines de bornes de cailloux et de corrugation. En plus on progresse plutôt bien. Et le trafic est relativement light, ce qui ne gâche rien. Ah l’Australie et ses routes goudronnées, dans un superbe état, qui s’étendent sur des centaines de bornes, et parfois on ne voit même pas une dizaine de bagnoles par jour. En France même une route forestière pourrie et paumée voit passer plus de trafic. Hélas.

Nous dormons dans les prés à quelques centaines de mètres de la route, cachés dans des petits arbres hérissés de milles épines, seule végétation laissée par le bétail. Car ici les routes ne sont pas séparées des prés par des barrières, et on croise parfois des vaches qui traversent la route. C’est moins rigolo quand c’est un camion qui croise la vache, car en général il ne ralentit pas. Et l’odeur des cadavres de vaches (et de kangourous) soulève l’estomac bien plus sûrement que n’importe quel grand huit. Et en plus c’est gratuit, de quoi se plaint-on ? D’avoir le cœur déchiré à la vue et à l’odeur des ces animaux morts pour rien. Enfin au moins ici il n’y a pas de clôture, car là où elles sont abondantes on doit se forcer de détourner les yeux pour ne pas voir les pauvres kangourous qui ont eu la malchance de vouloir sauter ou traverser et qui sont restés coincés dans les barbelés, agonisant sur place pendant des jours avant de mourir. Tout ça pour délimiter des « propriétés ». Drôle de terme quand on sait qu’il s’agit simplement de venir à un endroit et dire « là, ici, maintenant c’est à moi ». De nos jours n’importe qui qui ferait ça serait traité de fou, et pourtant la propriété privée, toutes les maisons, les champs, les terrains, tout ce qui se vend et se loue sur le marché de l’immobilier, ça n’appartient à personne, mais certains ont décidé de se l’approprier pour s’enrichir au détriment des autres. Et c’est ça qui régit notre monde moderne. Une sale blague. Pas drôle.